15/11/2015 :

Un continent menacé

Ces affiches, ça faisait un moment maintenant qu'il les voyait placardées un peu partout dans les villes de Leukos. Il s'arrêtait presque spontanément à chaque fois qu'il passait devant l'une d'elles, même si leur contenu lui était connu par coeur à présent. Là, à Riveflot, c'était la même chose. Des affiches sur chaque façade de bâtiment, dans chaque vitrine de magasin, et sur les tableaux d'affichage de la ville également. Que ce soit la partie terres ou la partie port de la bourgade, ces feuilles de papier de couleur ornaient tous les recoins possiblement placardables. Ces mecs étaient activement recherchés par les forces de l'ordre leukosiennes et, pourtant, ils restaient introuvables. En tout cas pour l’instant. Et ça faisait déjà quelques mois que ces formulaires circulaient. La police mettait-elle en place tous les moyens à sa disposition ? En avait-elle vraiment besoin ? Étaient-ils si dangereux que ça ? Le rouquin pensait que oui. Il se souvenait très bien des circonstances dans lesquels il les avait croisés la première fois. En tout cas, ils restaient inattrapables. Ou du moins inattrapés.

Là, debout devant l’un de ces panneaux d'affichage, Alec repensait à sa déposition. La police distribuait en effet des formulaires et avait lancé un appel à témoins dans toute la région, afin d’obtenir le plus grand nombre d’informations possibles sur ces vandales qui y sévissaient. Le Ranger s’était senti le devoir de le remplir le plus rapidement et le mieux possible. Il avait l’impression que son témoignage pouvait être important. Avec ce dont il avait été témoin… Et puis ça se rapprochait aussi des ses obligations en tant que Ranger. D’ailleurs, les Bases de Leukos avaient reçu le fameux questionnaire et le distribuaient d’office à leurs employés. Mais le rouquin avait rempli ledit papier avant ça, quand il était encore dans les environs de Silvilla.

- Ces mecs… Ce déguisement, marmonna-t-il pour lui-même.

C’est peut-être encore ce qui l’interpellait le plus : ces gars n’étaient pas des voleurs à la tire isolés, non. Ils formaient une organisation. Une organisation suffisamment importante pour que ses membres revêtent ses couleurs sous la forme d’un uniforme pendant qu’ils perpétraient leurs actions. Ils agissaient à découvert. Ils voulaient être à découvert : ils voulaient qu’on les reconnaisse, qu’on reconnaisse leurs couleurs. Ils voulaient être connus du grand public comme des autorités. … Pourquoi ? Par prétention ? Avaient-ils un quelconque message à faire passer ? Et puis… Le questionnaire parlait de vols. Mais Alec savait très bien que ces gens-là ne commettaient pas que des vols. Non, il y avait bien pire.

- C’est comme ces Teams, là-bas, sur d’autres continents, fit remarquer le rouquin, les yeux toujours rivés sur l’affiche. Ils cherchent à se faire remarquer. Ils veulent qu’on connaisse leur nom, leur action, leur but. … Tu crois que c’est pareil avec ces mecs-ci ? demanda-t-il comme s’il s’adressait à la pancarte.

- Mini-Minidraco. ‘Cooo ! Minidraco,’draco, répondit Sylve, très alerte et concernée par ce problème. (“Hum, c’est vrai que c’est curieux. S’ils voulaient commettre leurs exactions sans risquer d’être pris, ils n’étaleraient pas ainsi des couleurs et un uniforme au grand jour. Oui ! Tu dois avoir raison. Ils veulent être connus. Mais pourquoi… Comme les “Teams”, hein ? Il n’y a rien de tel par ici… Non, non. Rien comme ça à Leukos.”)

- Oh…, fit le rouquin en tournant ses yeux vers Sylve, assise sur le sol près de lui. J’te demande ça alors que tu dois rien comprendre à ce qui est écrit sur cette affiche ni à ce qui s’passe ici, désolé, ha ha ! s’excusa-t-il en tapant doucement la tête de sa dragonne, qui fit une moue renfrognée.

Bien sûr que si, elle comprenait ! Ce n’est pas parce qu’il fallait vingt ans à monsieur pour maitriser le langage particulièrement complexe des Minidraco que le même temps était requis pour que la jeune serpent d’eau saississe les paroles et dires de son Partenaire. Elle se demandait encore pourquoi c’est lui qu’on avait envoyé à l’école des Rangers et pas elle… Ah, oui… Elle était encore à l’état sauvage à cette époque-là.

- Hum… Ouais, il semblerait bien qu’ils veulent se faire connaitre. Une Team… À Leukos… C’est un problème sérieux. Vraiment sérieux. Je suis sûr que ce sont eux, les gars qui ont fait sauter le Centre Pokémon de Bourg-en-Pêche, l’été de l’année passée, continua-t-il d’expliquer à voix haute. Est-ce que les autorités le savent ? Je suppose que oui.

Sylve hochait la tête, comme pour marquer son accord, et attendait de voir les autres conclusions que son Partenaire allait tirer.

- J’avais fait une demande à la Base de Silvilla afin de pouvoir enquêter. J’avais directement demandé à Meg, mais la Fédération m’a vite écarté. Ils ont dit que c’était pas à nous, les Rangers, de s’occuper de ça, mais à la police, expliqua-t-il en maugréant. Bah, ils ont sûrement raison, mais… Mais j’étais sur place quand c’est arrivé, je me sens concerné. Toi aussi, hein, Sylve ?

- Minidraco ! acquiesça la dragonne.

Alec esquissa un sourire qui disparut presque aussitôt.

- Ces formulaires, c’est bien, mais c’est pas suffisant. Ces mecs sont dangereux. Je sais pas ce qu’ils cherchent, mais c’est sûr qu’ils se seraient pas fait chier à monter une organisation pour de “simples vols” de Pokémon… Ils planifient sûrement un gros truc. Mais quoi ? Et pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils font avec ces Pokémon volés ? Ils les revendent ? Ils les volent pour le pognon ? … Vraiment ? Pourquoi avoir fait sauter le Centre… ? Pour en voler davantage ?

Le rouquin secoua la tête en la baissant, puis soupira, avant de lever son bras droit pour se gratter le haut de la nuque. Tant de questions et si peu de réponses.

- Je peux pas régler ça tout de suite, pas maintenant, conclut le rouquin. Je me demande ce qu’en pensent les autres de Riveflot, tiens. Mathis et Lenny, Ethan et Kenzo, ... Marion et Sofia… Chloé. Ils ont sûrement été obligés de remplir le questionnaire, comme tout le monde à la Base… Hé hé, je pense que c’est pas la peine de demander aux deux premiers. Par contre Ethan et Marion auront peut-être des idées intéressantes. Ca vaut la peine de se renseigner, fit-il en s’étirant bruyamment.

Il lâcha enfin des yeux le panneau d’affichage pour relever la tête et observer le ciel qui s’assombrissait : voilà que le jour tombait déjà. Le Ranger planqua ses mains dans les poches de son pantalon. C’est qu’il commençait à faire froid aussi, avec ça.

- Bon, ça sert à rien de rester ici… On rentre, Sylve, viens.

Et sur ces mots, le rouquin prit la direction de la Base Ranger de Riveflot, suivi de près par sa Minidraco, Sylve, qui se posait, comme lui, beaucoup de questions sur les évènements à venir.